inuit_nucleaire1Fin 2009, le ministre de l’Energie Magnette et le Premier ministre Van Rompuy signaient au nom du gouvernement sortant un « Protocole d’accord » avec GDF-Suez en vue d’offrir à la multinationale française une prolongation de 10 ans de la durée de vie des trois plus vieux réacteurs nucléaires, qui doivent fermer leurs portes d’ici 2015, en échange d’une contribution des producteurs au budget de l’Etat. Conformément à ce Protocole d’accord, dont la légalité et le bien-fondé ont été mis en doute respectivement par le régulateur fédéral (la CREG) et la Commission européenne, la prolongation de la durée de vie de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1, devait être entérinée par une loi modifiant ou remplaçant la loi de sortie du nucléaire de 2003. BHV et la chute du gouvernement en ont décidé autrement et la loi de sortie du nucléaire est donc toujours bel et bien d’application !

Analyse – Position

1. La loi de sortie du nucléaire est une loi solide En 2003, suite à la participation des Verts au Gouvernement fédéral, la loi de sortie du nucléaire était votée avec le soutien du PS et du MR. Le projet de loi a été longuement étudié au Parlement et y a fait l’objet de nombreux débats. Cette loi prévoit l’arrêt des 7 réacteurs belges après 40 années de fonctionnement, c’est-à-dire entre 2015 et 2025. Ce laps de temps – 10 ans de plus que la durée de vie initialement prévue – permet de prendre les mesures nécessaires pour réduire la consommation d’énergie et augmenter la production d’énergies propres et renouvelables. En cas de menace pour la sécurité d’approvisionnement, la loi prévoit une « clause de sauvegarde » permettant de prendre les mesures nécessaires. L’option prise par le Gouvernement était aussi de donner un signal clair au secteur de l’électricité en vue de réaliser les investissements à moyen et long termes. Pour Ecolo, il est indispensable de maintenir cette loi et de soutenir la concrétisation de toutes les mesures nécessaires pour rendre cette sortie effective dans les délais prévus.

2. Il est possible de fermer les premiers réacteurs nucléaires en 2015 sans risquer un manque d’électricité Depuis 2003, des investissements importants ont été consentis dans des centrales au rendement élevé (cogénération ou TGV) et dans les énergies renouvelables. De nombreux projets sont en outre en cours de réalisation ou en voie d’initialisation. Nous pouvons l’affirmer sans équivoque : ensemble, ces installations permettront de produire plus d’électricité que les 3 plus vieux réacteurs qui doivent fermer d’ici 2015, même en tenant compte d’une augmentation de la consommation d’électricité (alors que celle-ci a diminué de presque 7% entre 2008 et 2009 suite à la crise économique) et de la fermeture éventuelle de certaines centrales à charbon. Cette analyse est partagée par une série d’acteurs importants, tels que, notamment, la FGTB (qui parle, concernant la prolongation des réacteurs, d’un « combat d’arrière-garde ») ou les socialistes flamands. Il est donc faux de dire que la fermeture des trois premiers réacteurs nucléaires nous obligera à importer de l’électricité (nucléaire) de France. Et pour les personnes soucieuses de notre dépendance de l’Hexagone, rappelons qu’Electrabel est 100% filiale de GDF-Suez et que, ces dernières années, les décisions en matière d’approvisionnement énergétique dans notre pays semblent avoir davantage été prises à Paris qu’à la rue de la Loi. Sans parler du fait que les bénéfices d’Electrabel partent vers la France et ne sont pas réinvestis dans les renouvelables et la modernisation du réseau dans notre pays… 2
Les trois réacteurs concernés représentent environ 15 % de notre consommation d’électricité, c’est-à-dire à peine 3 % de notre consommation finale totale d’énergie. L’Europe, elle, nous impose 13% d’énergies renouvelables pour 2020. Voilà le vrai défi.

3. Il est possible de sortir totalement du nucléaire d’ici 2025 tout en diminuant les émissions de CO2 En 2005, Ecolo a publié un scénario alternatif ambitieux qui montre qu’il est possible de sortir du nucléaire et de réduire en même temps de 30% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990). Pour y parvenir, priorité à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables – ce qui ne se limite pas aux éoliennes ! – et à la production combinée d’électricité et de chaleur (cogénération). Une étude du Bureau du Plan de décembre 2008 montre que la Belgique peut atteindre ses objectifs dans le cadre du paquet « énergie-climat » de l’Union Européenne (à savoir une réduction de 15% des émissions de gaz à effet de serre et 13% d’énergie renouvelable pour 2020) tout en sortant du nucléaire, et ce à moindre coût. Si le défi est de taille, il s’agit avant tout d’une question de volonté politique.

4. Prolonger la durée de vie des réacteurs représente un pari très risqué Certains semblent accepter tacitement que la durée de vie des réacteurs peut être portée sans problème à 50 voire 60 ans. Or, au niveau mondial, la durée de vie moyenne des réacteurs est de 25 ans et on ne bénéficie d’aucune expérience concernant les grands réacteurs commerciaux dont la durée de fonctionnement s’approche des 50 ou 60 ans. Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’avec le vieillissement des réacteurs, le risque pour la population et l’environnement augmente chaque année de manière significative. Avec des réacteurs vieillissants, le risque de black-out augmente également car si un réacteur « disjoncte », ce sont 1000 MW qui sautent d’un coup. Dépendre d’une poignée de réacteurs en fin de vie pour près de 60% de notre électricité, c’est donc mettre la sécurité d’approvisionnement en péril !

5. Prolonger les vieux réacteurs – comme le propose Magnette – relève de l’hypocrisie Pour justifier sa décision de prolonger les 3 plus vieux réacteurs, le ministre Magnette s’est retranché derrière les conclusions du rapport « Gemix ». En tablant sur des niveaux futurs de consommation d’électricité surévalués (alors que la conclusion principale du rapport est de souligner le grand potentiel de l’efficacité énergétique) et des hypothèses pessimistes en termes de nouvelles capacités de production électrique, le Gemix arrive sans surprise à la conclusion qu’on doit reporter la fermeture des (ou de certains) réacteurs nucléaires. En réalité, le rapport Gemix confirme un secret de polichinelle : la décision de prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires a été prise préalablement à l’étude et est avant tout de nature politique, en lien notamment avec les besoins budgétaires… Le calendrier de fermeture des réacteurs découlant de la proposition de Magnette est totalement irréaliste. Au lieu d’un étalement entre 2015 et 2025 comme prévu dans la loi de 2003, selon Magnette, tous les réacteurs devraient fermer entre 2022 et 2025, dont 5 réacteurs la dernière année ! Cela signifie donc que 3.746 MW devraient fermer « d’un coup », en 2025. Et +/- 5.700 MW entre 2022 et 2025… Même Greenpeace sera d’accord pour dire que c’est virtuellement impossible… Suivre Magnette reviendra donc de facto à prolonger également les moins vieux réacteurs…

6. Pas besoin de prolonger les réacteurs pour récupérer les bénéfices indus des producteurs nucléaires Une des priorités d’Ecolo est l’adoption d’une loi visant à taxer les bénéfices indus des exploitants des centrales nucléaires. Rien ne justifie de lier la récupération de ces bénéfices à une prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires : ces centrales ont été amorties de manière accélérée avant la libéralisation du marché (via des tarifs élevés pour les consommateurs). Les bénéfices qui en découlent doivent donc être complètement récupérés par l’Etat pour à la fois investir dans le développement des 3
énergies renouvelables mais aussi dans la maîtrise des consommations. Une proposition de loi a déjà été déposée en ce sens par Ecolo.

7. Prolonger la durée de vie des centrales ne réduira pas la facture du consommateur L’énergie nucléaire n’a pu se développer au cours des dernières décennies qu’en bénéficiant d’énormes subsides publics, notamment en matière de recherche. Le coût relativement faible du nucléaire belge découle en outre d’amortissements accélérés financés par les consommateurs qui, avec les entreprises, continuent d’injecter chaque année des centaines de millions € dans le nucléaire via des prélèvements sur le prix de l’électricité. Aucun assureur ne couvre la totalité des risques liés à une centrale nucléaire et la responsabilité civile maximale des opérateurs est limitée à 700 millions, un montant loin d’être suffisant dans le cas où une véritable catastrophe nucléaire se produirait. Si l’on y intégrait le coût du démantèlement, de la gestion des déchets durant des milliers d’années, des différentes mesures de sécurité externe et de la couverture des risques potentiels, l’électricité nucléaire serait tout sauf compétitive. De toute façon, ce qui va déterminer le coût final du kWh, c’est, compte tenu de la loi de l’offre et de la demande, le kWh manquant, soit le kWh qui permet d’assurer la production de pointe. Le prix de l’électricité est donc calculé sur base de la dernière unité de production mise en service. Pour prendre une image, c’est comme si il fallait remplir une baignoire avec des robinets de différentes tailles, en fonction de leur capacité de production. Les gros robinets, ce sont les centrales nucléaires, qu’on ne peut mettre qu’en position ouverte ou fermée. Les robinets qui remplissent la baignoire au niveau juste, ce sont les centrales à gaz ; la baignoire se vidant par des siphons qui sont tous des consommateurs, dont la demande varie. L’équilibre est lui atteint en maintenant le niveau de la baignoire, en régulant donc la production des derniers robinets. Ce sont donc essentiellement les centrales au gaz, plus fexibles, qui ont une influence directe sur le prix de l’électricité, pas le coût de l’électricité nucléaire. Enfin, n’oublions pas que le prix du KWh ne représente qu’une partie (grosso modo, la moitié) du prix de l’électricité payé par le consommateur. Le reste est principalement constitué du coût de transport et de distribution ainsi que, dans une moindre mesure, des redevances et autres contributions. Prolonger les réacteurs nucléaires, c’est pérenniser le monopole de fait d’Electrabel pour des décennies. Le prix de l’électricité restera donc élevé et le consommateur sera à nouveau le dindon de la farce. Si vous allez sur les outils de comparaison mis à disposition du consommateur (www.cwape.be, www.brugel.be ou www.test-achats.be), vous constaterez que les offres des différents fournisseurs en énergie renouvelable sont tout à fait compétitives par rapport aux prix des énergies dites grises (en grande partie du nucléaire).

8. La question des déchets n’est toujours pas résolue En dépit de décennies de recherches, il n’existe à l’heure actuelle aucune solution à la problématique des déchets nucléaires, ni aucun site d’entreposage de déchets hautement radioactifs en fonction dans le monde. Les déchets hautement radioactifs restent dangereux pendant des dizaines de milliers d’années : même après 1000 ans, un dé à coudre de déchets nucléaires hautement radioactifs reste assez puissant pour rendre non potable 1 milliard de litres d’eau, ce qui représente la consommation annuelle de 25 000 belges. Enfin, de nombreuses inconnues subsistent sur les coûts de traitement des déchets ainsi que sur les coûts du démantèlement des centrales.

9. Le nucléaire ne peut jouer un rôle dans la protection du climat Les émissions de CO2 de la filière nucléaire en amont et en aval de la centrale sont loin d’être négligeables. Selon une revue des 103 études publiées sur la question, le nucléaire émet dans certains cas jusqu’à 288 grammes de CO2/kWh, soit près de 2/3 des émissions 4 du cycle de vie des centrales gaz vapeur (TGV) et beaucoup plus que les émissions du cycle de vie des renouvelables ! Dans le cadre du protocole de Kyoto, le nucléaire n’est pas reconnu comme une solution pour réduire les émissions de CO2. De toute façon, en matière de climat, la fission nucléaire est « hors jeu » : même si la capacité nucléaire actuelle se voyait doublée – ce qui nécessiterait la mise en service d’un réacteur de grande taille toutes les deux semaines jusqu’en 2030, les émissions de gaz à effet de serre mondiales seraient réduites de moins de 5%. Enfin, même les plus fervents défenseurs de la fusion nucléaire concèdent que le premier réacteur commercial ne fonctionnera pas avant – au mieux – 2050. Vu l’urgence de la lutte contre les changements climatiques, la fusion ne peut donc pas y jouer un rôle.

10. Au niveau mondial, le nucléaire reste marginal et la construction de nouveaux réacteurs est un fiasco Le nucléaire ne représente qu’environ 2% de la consommation mondiale finale d’énergie. Pour conserver le nombre de réacteurs en service à l’heure actuelle (environ 440), il faudrait que plus de 80 réacteurs soient mis en service au cours de la prochaine décennie et pas moins de 280 unités au cours des vingt prochaines années. Si certains médias annoncent régulièrement la construction à venir de dizaines, voire de centaines de nouveaux réacteurs, beaucoup de projets annoncés avec fracas ont entretemps été annulés, ce phénomène s’étant accéléré avec la crise financière mondiale. En réalité, si peu de nouveaux réacteurs nucléaires sont construits, de vieux réacteurs ferment régulièrement et la part du nucléaire dans l’électricité mondiale ne cesse de décroître. Actuellement, deux nouveaux réacteurs (appelés EPR) de 1600 MW sont en construction en Finlande et en France. Ce sont les premiers projets dans le monde occidental depuis 1992. Tant en Finlande qu’en France, la construction du réacteur EPR accuse un retard de construction de plusieurs années et des dépassements budgétaires qui le sont tout autant (l’EPR finlandais affiche déjà un dépassement de plus de 3 milliards €, l’EPR français 1 milliard € de surcoût). A titre de comparaison, plus de 10 000 MW de nouvelles capacités éoliennes ont été installés en Europe en 2009…

11. L’indépendance énergétique liée au nucléaire est un mythe Les réserves d’uranium-235 qui alimentent les réacteurs sont estimées à 60 ans au rythme de consommation actuel, et donc nettement moins si le nucléaire devait se développer. Si l’on voulait produire 50% de l’énergie au niveau mondial par le nucléaire, l’uranium-235 serait épuisé en moins de 30 ans ! Les pays de l’UE ne possèdent que 2% des réserves mondiales d’uranium, et la Belgique n’en possède pas. L’uranium océanique est tellement dilué qu’une filière basée sur ces ressources nécessiterait plus d’énergie qu’elle n’en produirait in fine. Les « alternatives » à l’uranium-235 impliquent toutes l’utilisation de plutonium, qui peut être utilisé pour fabriquer des bombes atomiques. Du point de vue de la prolifération, l’utilisation de tels combustibles est donc éminemment problématique. Les prétendus réacteurs de 4ème génération n’existent actuellement que sur papier et, dans le meilleur des cas, ne seront commercialisés qu’à partir de 2045. Aucun des projets actuellement à l’étude ne permettrait de résoudre les trois problèmes principaux du nucléaire, à savoir la sécurité, la prolifération et les déchets. 12.L’opinion publique belge est manipulée par des campagnes d’information malhonnêtes Le lobby nucléaire a lancé début 2009 une campagne de propagande évaluée à 2 millions €. Ce « Forum nucléaire » regroupe des constructeurs et les producteurs nucléaires présents sur le marché belge (principalement le français GDF-Suez-Electrabel). Ce n’est pas honnête de lancer un débat prétendument objectif au départ d’institutions très clairement orientées en faveur du recours au nucléaire. Par ailleurs, le lobby nucléaire 5 n’hésite pas à convier les médias à des voyages somptueux afin que ces derniers fassent par la suite la promotion du nucléaire.

Références – Personnes-ressources
Programme Energie (I.1)
Autres documents Electricité 2030 – le scénario vert, X. Desgain, O. Negro, juillet 2005.
La question nucléaire, argumentaire interne mis à jour, juillet 2008.
Note sur la capacité de remplacement des centrales nucléaires et tableau annexe, JF. Fauconnier, mai 2010.
Impact du paquet Energie-Climat sur le système énergétique et l’économie belge, Bureau du Plan, décembre 2008.

Pour en savoir plus jean-francois.fauconnier@cabinetnollet.be (0473/13.80.13) et julien.vandeburie@ecolo.be

Carte-blanche du patron de Lampiris sur la prolongation du nucléaire et le prix de l’électricité : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/479469/reaction.html

Dossier sur la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires : http://web4.ecolo.be/IMG/pdf/Dossier_Prolongation_nucleaire_60_ans.pdf